Jeremy Bentham (1748-1832) était un philosophe anglais. Il a créé le concept de panoptique, une prison permettant aux gardiens d’observer à tout instant les faits et gestes des détenus.
A l’ère des réseaux sociaux tout-puissants, le panoptique de Bentham a fini par triompher : tu ne cacheras rien ! Tu nous diras tout ! On veut savoir !
L’investisseur aussi. Il faut dire qu’il a été échaudé par la crise financière de 2008 et par les produits toxiques ayant contaminé certains produits d’investissement et les bilans des institutions financières. Il garde en mémoire la suspension des transactions sur les produits contaminés (le « gating ») et la création de véhicules illiquides pour cantonner les actifs toxiques (les « side pockets »).
Plus jamais ça. Le régulateur a régulé, le législateur a légiféré. Le système financier est beaucoup plus ré-si-lient.
Mais voilà, l’investisseur n’a pas changé : plus de 10 ans après la crise, il veut à la fois de la performance, de la transparence et de la liquidité. Et surtout de la performance.
Et vlan. Coup sur coup, deux stars de la gestion font les gros titres : Neil Woodford au Royaume-Uni, le roi de la gestion actions, le « Warren Buffett d’Oxford », et H2O Asset Management, la grande réussite de la gestion de performance absolue sans contraintes, symbolisée par son co-fondateur Bruno Crastes.
Neil Woodford avait pris dans ses fonds (notamment dans Woodford Equity Income) des positions très contrariantes dont nombre se sont avérées désastreuses. Il avait également investi dans des actions non cotées, à hauteur du maximum autorisé, soit 10% de l’actif. La combinaison des baisses des ses grosses positions en titres cotés et de rachats massifs a amené le poids des actions non cotées à un niveau tellement élevé que l’administrateur d’Equity Income a pris la décision de suspendre toute transaction début juin. Coucou, revoilà les « gates ».
Si la dérive au fil du temps du portefeuille Equity Income était visible (de moins en moins de grandes valeurs liquides, de plus en plus de moyennes et petites valeurs cotées qui l’étaient beaucoup moins), le poids des valeurs non cotées était en revanche masqué par différents subterfuges.
Depuis, c’est la curée au Royaume-Uni, où la presse se déchaîne contre Woodford et son principal distributeur, Hargreaves Lansdown, qui n’a sorti Woodford Equity Income de sa liste de fonds favoris que le jour de la suspension des transactions.
H2O AM, c’est une autre histoire : a priori, tous les ratios réglementaires ont été respectés. C’est un article de FT Alphaville a mis le feu aux poudres le 18 juin, en détaillant les investissements de plusieurs des fonds dans des obligations très peu liquides émises par des sociétés détenues par un financier allemand à la réputation controversée, Lars Windhorst.
Qu’importe le faible poids de ces obligations dans les portefeuilles, la simple mention de l’existence de positions peu liquides dans les portefeuilles, et la très mauvaise communication de H2O AM au début de l’affaire, ont entraîné des ventes massives de la part des investisseurs, estimées à 8 milliards d’euros. Ce n’est pas rien pour une société qui gérait environ 30 milliards avant le 18 juin.
H2O AM a fait face à ces rachats massifs en activant (vraisemblablement, la société n’a pas l’obligation de le confirmer) le mécanisme du « swing pricing », qui consiste à faire payer les actionnaires qui vendent pour ne pas pénaliser ceux qui restent.
Woodford et H2O AM ont bâti leur succès sur des performances remarquables. Les investisseurs ont acheté la performance passée. Elle est restée anormalement remarquable chez H2O AM, elle est rapidement devenue exécrable chez Woodford.
Woodford n’a pas été transparent, il a dissimulé ses positions illiquides et il va tout perdre. H2O AM n’a pas été assez transparent et a perdu plus de 20% de ses encours.
Un proverbe anglais dit à peu près ceci : la lumière du soleil est le meilleur des désinfectants.
Gérants, soyez transparents.
Cet article est paru initialement dans le numéro de septembre 2019 de Gestion de Fortune.
Illustration : Plan of the Panopticon – The works of Jeremy Bentham vol. IV, 172-3.